Nobel de Physique 2025 : Rencontre avec Michel Devoret à Paris
Le 10 décembre dernier à Stockholm, l'histoire de l'informatique a franchi une étape majeure. 100 ans après les premières avancées de la mécanique quantique, Michel Devoret, directeur scientifique de Google Quantum AI, a partagé le prix Nobel de physique 2025 avec John Martinis, ancien responsable du hardware chez Quantum AI, et John Clarke de l'université de Californie à Berkeley pour leurs découvertes fondamentales qui ont prouvé que les lois de la physique quantique ne s'appliquent pas qu'aux atomes, mais aussi à des circuits électriques visibles à l'œil nu.
Cette distinction vient récompenser des décennies de recherche fondamentale. Elle rappelle que les technologies les plus avancées prennent racine dans un effort de recherche scientifique soutenu dans la durée. Avec cinq lauréats du prix Nobel désormais associés à l'histoire de notre recherche — dont Demis Hassabis, John Jumper et Geoff Hinton en 2024 — cette reconnaissance souligne aussi l'exigence scientifique qui caractérise nos équipes.
La mécanique quantique à l'échelle macroscopique
Pendant longtemps, la communauté scientifique pensait que les lois de la mécanique quantique étaient réservées aux domaines microscopiques des atomes. Dans les années 1980, les travaux de Michel Devoret et John Clarke ont étendu la validité de la mécanique quantique au domaine macroscopique.
Ils ont démontré qu'un circuit électrique, s'il est conçu avec des matériaux supraconducteurs et des jonctions Josephson, pouvait se comporter comme un atome artificiel régi par les lois de la mécanique quantique. Cette découverte a permis de créer les premiers qubits, transformant des concepts physiques abstraits en réalité concrète. Il s'agit de composants matériels capables de traiter l'information de manière inédite et de potentiellement résoudre dans le futur des problèmes jusqu'ici insolubles dans une diversité de secteurs comme :
- La santé : Accélérer la découverte de traitements par la simulation précise des structures moléculaires.
- L’énergie : Concevoir des batteries plus performantes et explorer de nouvelles voies pour la fusion nucléaire.
- l’IA : Traiter des données et des structures d'apprentissage inaccessibles aux architectures classiques.
De la théorie à la puce Willow
Les recherches récompensées à Stockholm constituent aujourd’hui le socle d’avancées concrètes dans le domaine de l’informatique quantique. Dans cette perspective, Google Quantum AI, l’unité de recherche de Google dédiée au développement de cette technologie, a pour mission de construire un ordinateur quantique fiable et performant.
Cette ambition a donné lieu au développement de la puce Willow, notre processeur quantique de nouvelle génération qui utilise précisément ces principes de circuits supraconducteurs pour fonctionner. Avec Willow, nous avons franchi un cap décisif sur :
- Performance : Willow a réalisé en 2,1 heures un calcul qui exigerait 3,2 ans de traitement sur le supercalculateur le plus puissant au monde (Frontier), en démontrant un avantage quantique vérifiable via l'algorithme "Quantum Echoes".
- Fiabilité : Pour la première fois, nous avons pu démontrer que l'augmentation du nombre de qubits permet de réduire les erreurs, une condition nécessaire pour construire des ordinateurs quantiques à grande échelle.
La France au cœur de l'écosystème mondial
Ce prix Nobel a une résonance particulière en France, où Michel Devoret a mené une partie de ses travaux pionniers. Lors d'une conférence récente à Paris, il a souligné l'importance de la collaboration entre les laboratoires académiques et le monde industriel.
Selon le rapport de l’OCDE et de l’Office Européen des Brevets publié en décembre 2025, une part exceptionnellement élevée des demandes de brevets dans le domaine des technologies quantiques cite de la littérature non-brevet (32 %), ce qui souligne les liens étroits entre ce domaine et la recherche scientifique.
L'événement a réuni des figures clés de l'écosystème français, illustrant la force de ces échanges :
- Alain Aspect, Prix Nobel 2022 et Professeur à l'Institut d'optique.
- Pierre Rouchon et Delphine Bresch-Pietri (Mines Paris-PSL), experts reconnus en contrôle quantique.
- Théau Peronnin, CEO d'Alice & Bob, dont le parcours témoigne du dynamisme des startups issues de la recherche française.
Un moteur pour l'innovation de demain
Ce prix Nobel confirme que la recherche fondamentale reste le moteur des révolutions technologiques. En comprenant mieux les lois de la physique quantique, la recherche ouvre des perspectives concrètes dans des domaines complexes. En honorant Michel Devoret et ses pairs, le comité Nobel reconnaît que les découvertes d'hier sont les outils qui nous permettent, aujourd'hui, de définir le futur de l'informatique.